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1563Dans une étude consacrée à Montaigne, Sainte-Beuve notait qu’«[o]n ne sait jamais sur quoi compter avec cette sorte d’hommes, Bayle, Montaigne ; on peut dire d’eux, comme Pascal de l’Opinion, qu’ils sont d’autant plus fourbes qu’ils ne le sont pas toujours». Un appel de note à ce propos (dans Sainte Beuve, Panorama de la littérature française, Le Livre de Poche, 2004) nous précise que, dans Les Pensées, «[c’]est de l’imagination que Pascal écrit qu’elle est “d’autant plus fourbe qu’elle ne l’est pas toujours”». (On appréciera d’autant plus l’ambiguïté si vraie du propos que, dans ce même recueil sur Sainte-Beuve, on trouve, du même Sainte-Beuve, un éloge enthousiaste de Montaigne, autant qu’un éloge enthousiaste de Pascal, – chacun pour des vertus communes et chacun pour des vertus différentes, – cela qui est bien la marque du génie et de la loyauté de critique de Sainte Beuve…)
Cet assaut d’érudition n’a pour but que de disposer d’une bonne assise pour pouvoir émettre ce même jugement pascalien sur les complots : ils (les complots) sont d’autant plus fourbes (ou imaginés) qu’ils ne le sont pas toujours… Imaginerions-nous, dans ce cas sans fourberie, d’engager Pascal sous l’étendard de l’inconnaissance ? Car c’est bien avec cet esprit d’inconnaissance (“Je ne tranche en rien quant à la fourberie ou non, quant à la fausseté ou non de cette description d’un complot”) que nous aborderons les rumeurs de complot qui commencent à fleurir autour de Occupy Wall Street (OWS). On observera tout de même que ces rumeurs n’apparaissent que près de trois semaines après le démarrage du mouvement, alors que ce mouvement est devenu, d’une façon absolument inespérée par rapport aux situations de départ, un extraordinaire événement. Si l’on prétend être bien informé d’un complot et qu’on entend le dénoncer, on le dénonce alors qu’il est dans ses limbes et dans sa préparation, pour tenter de l’arrêter, plutôt qu’au moment où il semble prendre un essor irrésistible après s’être réalisé dans une situation absolument inattendue. Pour cette raison, nous préférerions continuer à parler d’Occupy Wall Street en tant que tel, comme nous le percevons, plutôt que selon telle ou telle interprétation, et compter ce fait qu’il “est devenu, d’une façon absolument inespérée par rapport aux situations de départ, un extraordinaire événement”, plutôt comme le résultat d’une immense crise métahistorique que nous ressentons tous, et qui s’exprime dans des courants collectifs qui surgissent brutalement, – plutôt que comme le résultat de l’action de quelques agents de l’un ou l’autre Soros (voir plus loin). Cela n’empêche qu’il y a désormais des interprétations et que cela vaut d’être noté.
D’abord, “complot” complètement à ciel ouvert, qui paraît par ailleurs, dans l’entreprise proposée, notablement ambitieux. Il s’agit du site 15october.net (15octobre.net en français) qui lance un appel à une “révolution mondiale” pour, rien que cela, samedi prochain. Cela nous laisse tout de même un peu de temps pour nous préparer, n’est-ce pas. En lisant la proclamation de 15october.net, on retrouve le balancement du jugement entre provocation gratuite ou manipulée, farce pseudo-Anonymous ou farce tout court, et “quelque chose d’important se prépare” ; et l’on ne tranche pas, instruit par l'expérience de ces temps insaisissables…
«Le 15 octobre – Tous ensemble pour un changement mondial.
»Le 15 octobre des gens du monde entier descendront dans les rues et sur les places. De l’Amérique à l’Asie, de l’Afrique à l’Europe, ces personnes se mobilisent pour réclamer leurs droits et exiger une vraie démocratie. Maintenant il est temps de nous réunir dans une protestation mondiale non-violente…» Etc., etc.
Cette proclamation a eu pour effet de susciter une réaction du site The Daily Bell (et c’est en lisant leur texte que nous avons eu connaissance du site 15october.net et de ses audacieuses et singulières ambitions révolutionnaires globales). The Daily Bell est un site (britannique) assez singulier lui-même par ses engagements clairement exposés, et avec une audience importante. De tendance libertarienne et ultra-libérale, il soutient à fond Ron Paul et dénonce les visées globalistes de l’“Anglosphère”, particulièrement de cette élite financière anglo-saxonne qu’il dénonce comme voulant établir un gouvernement (une dictature) mondiale ; comme keynésienne, interventionniste (de l’Etat) pour son profit, et profondément fourbe ; comme ce vampire universel se nourrissant de l’argent public qu’il ponctionne dans les gouvernements corrompus, et nullement “ultra-libérale” comme on l’en accuse en général.
Face à Occupy Wall Street, qu’il a largement commenté, The Daily Bell a une position ambiguë, sinon embarrassée, dans divers cas alternant soutien retenue et critique intriguée. D’un côté, il en reconnaît la vertu anti-élite financière, de l’autre il critique ce mouvement principalement parce qu’au lieu d’attaquer Wall Street, il devait attaquer la Federal Reserve, source de tous les maux. Son embarras, ou son incertitude, est également nourri par le fait que Ron Paul s’est largement déclaré favorable à Occupy Wall Street.
Voici ce que The Daily Bell dit, le 7 octobre 2011, de cette “affaire” 15october.net.
«What proximate cause drives this revelation? On October 15th there is to be a “worldwide demonstration for global change.” Just like that. (And by the way, Oct. 15th is the day of Wall Street's second largest meltdown ever, in 2008). We wonder if the US State department knows about this. Along with the CIA, the State dept. has supported numerous “youth movements” via AYM worldwide.
»The announcement of this global protest comes to us courtesy of 15october.net, and while there is seemingly no direct connection between “15October” and Occupy Wall Street, somehow we're sure there is. The 15October site carries examples of stickers and posters. One poster reads “Legally camp on Wall Street and remain together to be strong.”
»Yes, increasingly, this seems a virulent, deliberate, calculated operation. The 15October rhetoric is deliberately internationalist. “United for Global Change.” Say what? Did we miss something? When did these demos morph into an international movement for “global change” and a “better place to live for all.” What the hell does that mean?...»
Ensuite, The Daily Bell développe son argumentation, qui est finalement un mélange assez curieux de constats de ce qui pourrait être l’évidence, favorable à l’idée d’un Occupy Wall Street répondant à une dynamique propre, inexplicable totalement par les seuls facteurs humains et pleine d’une vertu déstabilisante du Système ; et d’affirmations ex abrupto d'une intervention humaine complotiste et déterminante, qui tiennent de la conviction née d’une théorie qui nous semble sans réel rapport avec quelque fait que ce soit. (Par exemple, cette phrase : «Despite the resolute insistence that the movement has no leaders, it is evidently and obviously being manipulated at the top, and most cleverly», – dont rien ne nous dit à quoi correspondent ces “clairement” et “évidemment” qui semblent à eux seuls démontrer le “being manipulating”.)
De même, le fait que la presse “couvre” désormais l’événement comme s’il s’agissait d’un “mouvement populiste” est considéré comme la démonstration qu’un “mouvement populiste est en train d’être créé, et de propos délibéré”, – ce qui signifie “complot“. Certes, il s’agit d’un “mouvement populiste”, par sa nature même, sans que la presse qui a d’abord complètement ignoré ou discrédité le mouvement n’ait nul besoin de le “représenter” ainsi. L’on voit mal que ce soit per se l’indication d’un complot ou d’une manipulation.
«Meanwhile, libertarian elements of Occupy Wall Street have been purposefully deemphasized. Now the mainstream media covers these demos as if they were a credible explosion of popular anger. A populist movement is being created, and quite deliberately.
»There are obviously plenty of good people involved in the larger Occupy Wall Street movement. A good many, no doubt, are libertarians, not socialists or upper-rank, fat-cat unionists. A good many believe in freedom, not Marxist rhetoric.
»But the reality doesn't matter. Despite the resolute insistence that the movement has no leaders, it is evidently and obviously being manipulated at the top, and most cleverly. More and more it seems a promotion, a sub dominant social theme of the Anglosphere banking families that are trying to impose world government – and are racing to do so before the Internet Reformation blows up their 300-year-old conspiracy.
»These current demonstrations started “small,” of course, as they must. But then they blew up. Spontaneously! Suddenly there were cases of police abuse. Then, inexplicably, the demonstrators were led from sidewalks onto the Brooklyn Bridge and arrested. And now the unions are involved. From all over America. And soon from all over the world. The mechanisms seem clearly visible.» […]
»Is there any reason to think that Western elites that want world government won't repeat this? They rarely break new ground. They stick to what works. And their machinations are fairly visible in this era of the Internet. Are they playing everyone else for dupes? Protesters included? […] Conclusion: Again, we could be wrong. We hope we are. But it's a down day. All the elves are sniveling. Our 100-elf conference table is a just a sea of woe. We still won't let them out for lunch. Its hour come round at last ...»
Ce que nous baptiserions “les complots de Soros”, du nom de ce fameux spéculateur richissime et fameux soi-disant organisateur de complots de toutes sorte, des “révolutions de couleur” des années 2003-2005 au “printemps arabe” toujours en cours, forment la base essentielle des explications de complot qui fleurissent autour d'OWS. Nous employons le pluriel parce qu’en l’occurrence, il y a plusieurs versions.
Au reste, il est acquis que Soros soutient le mouvement OWS, ce qui fait de lui un comploteur à ciel ouvert. Russia Today a recueilli son avis, le 9 octobre 2011, dans un texte où RT présente Occupy Wall Street comme “une protestation majeure contre la loi de la minorité”. Cette sorte de déclaration peut aussi bien alimenter ceux qui dénient qu’il y ait complot “sorosesque”, que ceux qui l’affirment, – cela, renvoyant à la formule pascalienne.
«Two miles from the chaos, at the United Nations, even financier and billionaire George Soros weighed in on the populist uprising. “Actually, I can understand their sentiments, frankly,” he said. “The decision not to inject capital into the banks but to effectively relieve them of their bad assets, and them allow them to earn their way out of a hole, gave the banks bumper profits and that allowed them to pay bumper bonuses. As I say, I can sympathize with their grievances.”»
Il y a la version de Wayne Madsen des “complots de Soros” (en anglais le 6 octobre 2011 et en traduction française le 8 octobre 2011). L’argumentation est longue et détaillée mais se caractérise par le même trait remarquable selon lequel tous les arguments qui sont mis justement au crédit d’un complot de Soros, peuvent être retournés contre l’idée même de la réussite, ou de l’existence de ce complot, en devenant un argument pour un mouvement incontrôlé qui met en place des conditions nouvelles de déstabilisation profonde aux USA.
La description de la situation issue du “complot” rencontre finalement le constat fondamental et évident de la situation telle qu’on en observe l’évolution aujourd’hui, sans explication de complot, – ce que ne devraient pas vouloir en principe les comploteurs lancés par Soros puisqu’ils agiraient pour le compte d’Obama, dont il nous est assuré qu’il est plus que jamais “une marionnette de Wall Street”. Enfin l’argument final pour nous convaincre de l’efficacité comploteuse de Soros et compagnie, mise en avant pour le “printemps arabe” (l’argument pourrait être avancé également pour les “révolutions de couleur”, dont on voit ce qu’il reste aujourd’hui), tendrait à nous laisser incrédule ou désorienté : «Le “Printemps arabe” s'est retourné contre Soros et ses alliés parce que les infiltrateurs n'ont pas pu garantir que la majorité des protestataires seraient pro-occidentaux, pro-capitalistes, et ambivalents sur Israël.»… Certes, des complots de la sorte, nous en demandons et redemandons, et si Occupy Wall Street suit cette même tendance, alors en avant ! (Même chose pour Tea Party tenus en main, selon l’analyse, «par les officiels du parti républicain et les frères Koch millardaires.» Que les Koch et les caciques du parti républicain ait comploté à mort pour récupérer Tea Party, aucun doute là-dessus, mais le résultat est que Tea Party tient aujourd’hui le parti républicain, et pas l'inverse, – “certes, des complots de la sorte…”, etc.)
«Le magnat des fonds “pourris” de Wall Street et de Londres Georges Soros a adressé un signal à ses émissaires et agents d'infiltration, en faisant savoir qu'il sympathisait avec le mouvement d'occupation de Wall Street. Il joue les colombes avec David Plouffe, le conseiller d'Obama, en prenant contact avec certaines stars du mouvement pour s'assurer qu'ils sont aussi bien tenus en main par la Maison Blanche que l'ont été la plupart des membres du Tea Party par les officiels du parti républicain et les frères Koch millardaires.
»Avant tout, ils se sont assuré que le mouvement anti trusts représenté par les partis démocrate et républicain, reste bien divisé par la fracture artificielle entre droite et gauche, mais aussi, émietté en blocs rivaux, plus petits, dans chacun des deux grands camps. La stratégie “diviser pour régner” est en train de faire échouer les tentatives bien réelles pour mobiliser le peuple américain contre Wall Street et les lobbies qui occupent Washington.
»Plouffe et ses agents veulent s'assurer que les protestataires s'égosillent sur le thème de leurs emplois, de l'éducation publique, de la sécurité sociale et de l'assistance médicale, ou sur l'environnement, tant que cela ne prend pas une tournure anti-Obama. Tandis qu'ils réclament du travail, les manipulateurs à la solde de Soros affirmeront dans les reportages des media que les protestataires veulent que le Congrès approuve le décret d'Obama sur l'emploi. Quand ils réclameront “la santé pour tous”, les manipulateurs d'opinion diront aux que ces “indignés” sont contre le rejet du plan d'Obama pour la santé publique. […]
»Soros, travaillant de concert avec la Maison Blanche d'Obama, a rappelé des vétérans chevronnés en matière d'infiltration et de catalyse des mouvements populaires, y compris la “révolution à thème” et les soulèvements sociaux mis en scène pour les media en Egypte, en Tunisie, en Syrie, en Libye, en Iran, en Ukraine, en Serbie, au Khirghistan, en Géorgie, au Liban, et dans d'autres pays. Le “Printemps arabe” s'est retourné contre Soros et ses alliés parce que les infiltrateurs n'ont pas pu garantir que la majorité des protestataires seraient pro-occidentaux, pro-capitalistes, et ambivalents sur Israël.
»Les ordres de manœuvre principaux donnés à ces infiltrateurs consistent à s'emparer du leadership vacant dans le mouvement, et d'en faire une plateforme de soutien à la politique d'Obama favorable à Wall Street, avec les protestataires, inconscients du fait qu'ils renforcent le statu quo. La stratégie consiste à s'assurer qu'aucun dirigeant nouveau ou inconnu ne surgisse de l'intérieur du mouvement, soit des rangs syndicaux soit des rangs plus politiques. Les leaders qui ne sont pas déjà calibrés et qui pourraient résister au contrôle par les intérêts financiers et politiques seront éclipsés par ceux qui émargent chez Soros depuis des années.»
Le 7 octobre 2011, Webster G. Tarpley, – bien connu pour ses divers travaux souvent minutieux et intéressants sur les manigances en cours depuis 9/11, du terrorisme aux attaques contre l’Iran, – a mis en ligne un texte décrivant également de grandes manœuvres comploteuses autour et dans Occupy Wall Street. Il donne la précision d’une mystérieuse commission qui manipulerait le tout («20 mysterious and anonymous individuals who appear to make up a kind of covert steering committee»)… Quoi qu’il en soit, le but est toujours le même : assurer la réélection d’Obama, sauver Obama si l’on veut, – c’est-à-dire sauver Wall Street, puisqu’Obama est une “marionnette de Wall Street”… Ainsi Occupy Wall Street devient-il Save Wall Street, – bien que notre impression ait été, ces trois dernières années, que Wall Street se porte bien, et qu’il se porterait bien, aussi bien avec un candidat républicain élu en 2012 qu’avec Obama réélu… (Certes, à moins que Ron Paul… – mais nulle part, nulle allusion à lui.)
«Media spokesmen for the Occupy Wall Street demonstrations claimed that their operation is totally transparent, with everything subject to democratic discussion in a general assembly of all comers. But eyewitness reports from experienced observers on the ground in lower Manhattan indicate a much different reality behind these bland assurances. Forces appeared to be at work behind the scenes to manipulate the protest movement into a posture of supporting the presidential candidacy of Wall Street puppet Obama.
»Eyewitness observers suggest that the deliberations of the general assembly are largely a diversion, and that real power is being increasingly concentrated in the hands of about 20 mysterious and anonymous individuals who appear to make up a kind of covert steering committee that pulls the strings on the general assembly, or else goes around it completely. The members of this cadre of mysterious operatives are not as young as the average demonstrator. The secret leadership is made up of people ranging in age from 25 to over 40, with the older ones occupying the key posts. Many of them appear to be active duty or recently retired military. […]
»Television appearances by protesters Kelly Heresy, Tyler Combelic, Ryan Hoffman, Lex Rendon and Swaye in recent days all have one common characteristic – their absolute inability to formulate a single demand or program which would speak to the urgent needs of the broader American public. Instead, many of them used the few precious minutes they had extolling the virtues of the imbecilic consensus model as the basis for some future Utopia. Hard-pressed working people do not have time for these pipe dreams. American working people urgently need help in finding a job, in blocking a foreclosure, in obtaining health care, and in getting out from under the crushing burden of student loans. Who chose these spokespersons?
»So far, the current Wall Street protests have offered these embattled Americans virtually nothing but an unfulfilled promissory note.
»Sam Seder, a former broadcaster for the failed Air America network and Obama backer, has argued that the movement should never come up with a program of concrete demands. This is the choice that would suit Obama. Unless and until the protest movement tells the American people what it is willing to fight for on their behalf, it risks becoming a mere collection of roustabouts for the Obama reelection campaign.
»The stakes are much too high to let this happen. If this movement fails, fascism may be much closer than many people think. It must succeed, and to succeed it immediately requires a series of intelligible goals.»
La caractéristique de toutes ces explications renvoie évidemment à la profonde sagesse de l’observation de Pascal. Dans toutes ces choses, il y a du vrai, le reste étant spéculation et interprétation, et le vrai rendant encore plus spéculatif et interprétatif le sens général du propos. Le résultat est souvent chaotique et, pour la signification, effectivement assez “fourbe”, – c’est-à-dire trompeur, – mais trompeur aussi bien par inversion, pour la cause elle-même que plaident les spéculateurs et les interprétateurs, c’est-à-dire finalement dans la plus complète confusion. On observe que les conclusions peuvent parfois s’opposer complètement : ici, l’on observe qu’un complot pour manipuler Occupy Wall Street serait une réussite si l’on pouvait l’orienter vers des revendications précises qui correspondraient à l’“agenda” d’Obama ; là, que la seule façon pour que le complot échoue serait que le mouvement aboutisse à des revendications précises qui empêcheraient qu’Obama ne s’en emparer pour satisfaire son “agenda” nébuleux et sans promesses précises, type Yes, we can…
Le résultat est effectivement un grand désordre dans l’idée qu’on devrait se faire de l’événement (OWS), et par conséquent l’incertitude la plus totale quant à la manufacture et à la finalité de l’événement. Qu’il y ait des manipulations, des tentatives de pénétrations dans tous les sens, des intrigues, des “complots” enfin, autour d’OWS, qui n’en conviendrait pas ? C’est la marque même du succès de la chose d’une part, de la panique de ceux qui s’inquiètent de la chose d’autre part. C’est la marque même de l’agonie de l’américanisme, ce système spécifique qui ne peut vivre que dans les contraintes du Système général, – ces contraintes passant aussi bien par une identification précise des adversaires qu’on crée s’il le faut (communistes, anticapitalistes, terroristes, etc.), ce qui permet une mobilisation bien comprise et facilement explicable à la population par le système de la communication. La situation Occupy Wall Street définit tout le contraire, perdue dans la confusion d’une dynamique dont personne ne sait rien de précis, y compris les manipulateurs en train de manipuler. Que l'on cherche à changer cette situation par manipulations justement, rien que de normal ; qu'on y réussisse, rien de moins sûr.
Notre explication, purement intuitive, sans aucune source agréée ni le moindre élément secret connu de nous seuls, est que l’initiative Occupy Wall Street, lancée pour quelque motif que ce soit (qu’importe la connaissance de cela), a rencontré un puissant courant métahistorique, une formidable psychologie collective qui perçoit le sens de la fin des choses (on peut l’appeler temporairement, comme nous faisons parfois et pour sacrifier à la facilité de la mode, une psychologie collective de l’“indignation”). La formidable crise de la fin de notre civilisation (notre “contre-civilisation”) justifie largement de telles hypothèses. OWS, c’est un coup de boutoir de plus porté contre le Système, chaque coup de boutoir étant accompagné d’explications terrestres diverses, dont des “complotistes”, mais ayant objectivement pour effet d’affaiblir à chaque fois un peu plus le Système, d’accélérer sa dégradation.
L’un de ces coups de boutoir devrait être, à un moment ou l’autre, fatal au Système, autant par sa propre force que parce qu’il profiterait de l’effet de dégradation de tous les coups de boutoir précédents. Il n’est pas nécessaire que nous en ayons conscience avant qu’il n’ait lieu, ni même que nous le réalisions pleinement, alors que s’effondre le Système. Le moins qu’on puisse dire est que, depuis 2008, de Tea Party (cause principale de la destruction du pouvoir US ces trois dernières années) aux “indignés” européens et au “printemps arabe”, et à Occupy Wall Street, les coups de boutoir se succèdent et se font de plus en plus dévastateurs.
C’est de cette façon que nous observons la séquence métahistorique, plus que jamais convaincus que, sans la destruction du Système, rien ne peut être fait qui ne pourrait être aussitôt et prestement récupéré par le Système, si habile en cette manœuvre. Quant aux complots, qui “sont d’autant plus faussaires qu’ils ne le sont pas toujours”, l’inconnaissance nous paraît tellement préférable à l’enfermement complice du Système qu’implique l’étude des divers montages, intrigues, manœuvres et manipulations, qui sont sans aucun doute réels au moins dans une partie de leur description mais qui ont pour effet de nous faire céder aux emportements de l’imagination sur des détails dont le Système peut faire son affaire, aux dépens des constats de l’évidence de la marche de l’essentiel.
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